Onde / Ordre
Planche n°1, 2017
Dessins, textes et collages sur vélin d’Arches 30 x 46 cm
Onde : n.f. xiie siècle. Du latin unda, « eau agitée ». Mobile, courante, tumultueuse… Être actif. Eau en mouvement. Masse d’eau qui se soulève et s’abaisse en se déplaçant ou en donnant l’illusion du déplacement.
Laboratoire lexicographie / peinture abstraite, 2016, avec Alain Rey.
Flot, vague. « Dans le courant d’une onde pure » La Fontaine, Le Loup et l’Agneau.
v. 1140 : Soulèvement d’une matière en ébullition. Afflux. Vogue sur l’onde !
« L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux […] un monstre furieux. » Jean Racine, Phèdre.
xive siècle : forme sinueuse, ondulation faite de lignes sinueuses et parallèles… Idée de propagation.
1765 : d’un mouvement ondulatoire dans un liquide. Phys. : déformation, ébranlement ou vibration dont l’élongation est une fonction périodique des variables de temps et d’espace. Voir les ondes concentriques, ondes liquides dans l’eau : cercles, rides, ronds, vagues, marées, houle, clapotis…
Au Canada, au bord du fleuve Saint-Laurent, j’observe les phénomènes physiques ondulatoires, cette force invisible des mouvements, contre-mouvements de l’eau. Ressac, oscillation, propagation.
Longueur d’onde : espace parcouru par la vibration pendant une période.
Ordre : n.m. Fin du xie siècle, au sens de « ordre religieux ». Du latin ordo, ordinis, « rang », « rangée » et « distribution régulière ». Abstraitement, la succession chronologique des éléments d’un tout : organisation, structure, harmonie.
« L’idée de la forme se confond avec l’idée de l’ordre. » Antoine-Augustin Cournot.
Fabian Bürgy, Soundwave.
Didactique : disposition, relation intelligible entre les choses, succession régulière (de caractère spatial, temporel, logique, esthétique, moral).
Enchaînement, suite, alternance, cycle.
Depuis le xiie siècle, se dit de l’ensemble des lois régissant la nature.
1580 : « l’ordre universel des lois naturelles ».
Yayoi Kusama, Waves on the Hudson River, 1988.
Kevin Lucbert, Suburban Mystique, 2012.
1674 : voir Malebranche dans De la recherche de la vérité, où il parle de « l’ordre de la nature » : « […] la réalité est ordonnée… »
« L’ordre est un certain accord entre le sujet et l’objet. C’est l’esprit se retrouvant dans les choses. » Henri Bergson, L’Évolution créatrice, 1907. Voir son idée de « création permanente de nouveauté » par la nature, son concept « d’élan vital ». Il n’y a pas de plan déjà prévu, l’évolution est imprévisible, « le monde va à l’aventure », il s’invente sans cesse sous l’influence des lois naturelles.
Veine de bois.
Grenouille colorée.
Onde sur l’eau.
Man’s Response to Vibrations, 1968.
Planche n°2, 2017
Dessins, textes et collages sur vélin d’Arches 30 x 46 cm
Bois usé par les éléments, Corse. 2011.
Léonard de Vinci, Codex Leicester, xvie siècle.
Ai Wei Wei, The Wave, 2005.
« Suivre l’ordre des choses et s’y conformer, voilà le propre de tous les êtres et d’abord du tout qui les contient et les gouverne ; mais connaître et comprendre l’ordre est très difficile aux hommes… » Saint Augustin dans De Ordine (De l’ordre), p. 303.
Selon Léonard de Vinci, « les ondes du son et de la lumière sont régies par les mêmes lois que celles de l’eau. »
En peinture, suivre aussi l’ordre naturel des choses ; pars du centre et va vers l’infini ! Par l’ébranlement de ta masse liquide picturale, l’onde sinueuse suivra la propagation inventive de l’énergie en marchant vers le large par ondes concentriques ! Tu ne modifieras l’espace physique de ta toile vers ce phénomène ondulatoire que par une perturbation initiale, en te plaçant dans un centre imaginaire. Manifestation par intermittence. Le rythme de ta respiration insufflera alors aux traits les mouvements du ressac incessant. Ce mouvement incessant, c’est l’esprit de la réalité même.
Sophie Taeuber-Arp, Intervalles, 1934.
Mouvements de rochers, Canada.
« Quelque incertitude et quelque variété qui paraisse dans le monde, on y remarque néanmoins un certain enchaînement secret et un ordre réglé de tout temps par la providence, qui fait que chaque chose marche en son rang et suit le cours de sa destinée. » La Rochefoucauld, Maximes, 613.
Éblouissement devant l’esprit de l’onde !
Bridget Riley, Sreak 2, 1979.
Planche n°3, 2017
Dessins, textes et collages sur vélin d’Arches 30 x 46 cm
« L’eau est la maîtresse du langage fluide, du langage sans heurt. » Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves, 1942.
Liquidité, fluidité, essence même du langage. « L’onde est un tableau de jeux… ».
Katsushika Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa, 1831.
Victor Hugo, Ma destinée, 1857.
J’explore la palette de correspondance du dynamisme onde/ordre dans le processus de création ; couplage de forces interactives qui animent et organisent la forme picturale dans une sorte d’équilibre instable.
Entre genèse continue et ordre universel constant.
Trajectoire des ondes + influence de l’ordre universel.
Cette tension peint le tableau dans une respiration d’ondes sans cesse renouvelée. L’esprit joue avec cette cadence de chaos d’énergies qui se propagent, d’impulsion en impulsion, dans une poussée évolutive sans fin. L’harmonie surgit d’elle-même d’un ordre qui agit sur le dessein des lignes. Vers gestation, ondulation continue, un ordre surgissant d’un désordre apparent. Une forme naissant de l’informe. Une écriture de l’inachevé.
Ma Yuan, dynastie Song.
« La vie apparaît globalement comme une onde immense qui se propage à partir d’un centre et qui, sur la presque totalité de sa circonférence, s’arrête et se convertit en oscillation sur place. » Henri Bergson, De la signification de la vie.
L’ordre du ciel… voir l’ordre « naturel » chez Rousseau au xviiie siècle.
Motif nuageux formé par des ondes de gravité au-dessus de l’île volcanique d’Amsterdam, océan Indien, 02-09-2016.
« L’ordre est une espèce de vie de l’univers. » Bossuet, Élévations sur les mystères, XII, 10.
« L’harmonie est la poésie de l’ordre […], la concordance des choses entre elles, l’unité… » Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais.
« Le pinceau écarte un peu, je dirais, “ses dents” pour que la lumière réapparaisse dans des volutes maritimes incroyables… » Anne de Staël à l’atelier, le 8 juillet 2016.
« Croissez pour voir sous vous trembler la terre et l’onde. » Pierre Corneille, Poésies diverses, 5.
Film du labo, B.A.-BA, 2016.
Planche n°4, 2017
Dessins, textes et collages sur vélin d’Arches 30 x 46 cm
Coupe transversale de troncs d’arbre.
Veines de bois.
« Les formes immobiles ne sont pas en repos, elles bougent, elles “voyagent” en esprit. […] embrassant toute forme et l’informe même, le monde des signes, de ces matérialités idéales, de ces idéalités concrètes, qui savent faire naître, projeter, faire vivre et voyager du sens. » Alain Rey, Le Voyage des formes.
Planche n°5, 2017
Dessins, textes et collages sur vélin d’Arches 30 x 46 cm
Inspirations graphiques autour de « moirage ».
Onder, du latin undare : former des ondes !
Les ondes endossent l’habit éphémère d’une ligne vibratoire soumise à l’ordre naturel universel. Elles nous font pressentir la visibilité mystérieuse de l’existence des formes du monde sensible.
Écorce de bouleau ramassée dans les forêts canadiennes, avec une onde merveilleuse.
Gérard David, détail du triptyque du Baptême du Christ, 1502-1508.
Photo anonyme.
Olafur Eliasson, Notion motion, 2005.
Onde/ordre est un couple idéal pour le peintre.
« La vibration des apparences et le berceau des choses. » Paul Cézanne.
« Ce sont certainement les mouvements du ciel qui donnèrent aux hommes la première notion d’un ordre à chercher dans les choses. » Alain, Propos.
L’ordre comme lois de la nature. Pour les premiers Grecs, cosmos = monde ordonné.
Le monde est régi par un ordre harmonieux, la phusis ; un mouvement qui fait croître naturellement les choses. « Le principe de mouvement existant dans la chose même. » Aristote, Physique.
« Le monde n’a pas besoin qu’on y mette de l’ordre ; le monde est ordre incarné. C’est à nous de nous harmoniser avec cet ordre. » Henry Miller, Sexus.
En chevauchant la mobilité de l’onde, ton esprit pénètre une dynamique vitaliste qui t’ouvre les portes d’une poésie concrète et jaillissante.
« L’intelligence qui nous a été donnée […], l’emploierons-nous à notre ruine, combattant le dessein de la nature et l’universel ordre des choses… » Montaigne, Essais.
Veines d’arbre.
Andy Goldsworthy, 2006.
White Propagation I, 2016.
Planche n°6, 2017
Dessins, textes et collages sur vélin d’Arches 30 x 46 cm
B.A-BA, « Les Improbabilités », dessin no III (2e version).
Sea of Think :
rythme-reflet, vide-vibration, harmonie-hasard, labyrinthe-liberté, sinueux-sagesse, instabilité-ivresse, voix-vortex, esprit-évasion, dualité-dialogue, onde-ordre, tissage-temps, chant-catastrophe, joie-jeux, force-forme, musique-mutation, tectonique-transformation, arborescence-allégorie, polyphonie-palimpseste, cercle-cosmos, univers-un.
Née de la fascination pour cet élément insaisissable, vital, l’eau, l’idée de l’ « onde » investit l’espace et donne au mouvement un rythme. L’ordre, loin de la stabilité que le mot peut suggérer, est une relation changeante, mère de tout dés-ordre, et rend visible ce qui est. Ses trois pôles sont la rationalité mathématique, le classement du réel et de l’imaginaire, la création humaine – liés à une nature secrètement composée d’ondes et de corpuscules. L’art pictural poursuit un ordre pur par une force rythmique qui semble née d’une vague. L’artiste, sur le sombre du vide spatial, crée ce frisson du temps, image d’une onde depuis un centre suggéré, image désormais pacifiée.
Alain Rey